Benoît Raynaud sort enfin du silence

Alors que les solutions financières avaient été trouvées pour sauver le club, l’éphémère président du Biarritz Olympique en 2018 raconte enfin le complot politico-sportif qui a permis à Jean-Baptiste Aldigé de s’installer.

C’est ce qu’on peut appeler une décision mûrement réfléchie. Six ans que le sympathique ostéopathe du quartier Saint-Charles qui n’avait jamais imaginé dans son plan de carrière se retrouver à la tête du Biarritz Olympique même s’il est un cinglé de sport, est partagé entre l’envie de « ne pas nuire à son club de cœur », l’inquiétude sur l’avenir du BO et l’agacement face à l’ignorance des Biarrots sur ce qu’il s’est réellement passé en 2018, avant qu’Aldigé et la famille Gave n’obtiennent les pleins pouvoirs, chassant le trio Bruno Ledoux, Benjamin Gufflet et lui-même.

Mais peut-être est-il utile de faire un rappel sur cette année si particulière où le Biarritz Olympique connaîtra au cours de la même saison quatre présidents successifs avec Nicolas Brusque, proche de Blanco, qui se fâche avec les Gave et démissionne en février, remplacé par Benjamin Gufflet qui s’éloignera du club fin mars après le décès d’une crise cardiaque du directeur général Pierre Bousquier, avant d’être remplacé par Benoît Raynaud qui tiendra jusqu’en juin puis remettra les clés du camion rouge et blanc à Louis-Vincent Gave.

Bruno Ledoux m’a dit : « Tu n’as pas le choix »

On a le sentiment que vous avez dû vous organiser très vite en acceptant de devenir président du club le 30 mars 2018.

C’est exactement cela. En 2017, Bruno Ledoux et Benjamin Gufflet m’avaient proposé de les rejoindre dans l’aventure BO, sans doute en raison de mon implantation locale. J’avais intégré le conseil d’administration du club et accepté la vice-présidence. L’ambiance était hyper tendue depuis février 2018 et le départ de Nicolas Brusque, car Serge Blanco avait le sentiment de se faire voler le club. Nous jouions un peu les tampons entre les Gave et les « historiques ».

Le décès brutal de Pierre Bousquier, à 47 ans, a été d’une violence absolue et immédiatement, Benjamin Gufflet a souhaité prendre du recul. Bruno Ledoux m’a longuement téléphoné en me disant « Tu n’as pas le choix, ça ne peut être que toi » et c’est ainsi que je me suis retrouvé président. Dans le communiqué publié par le BO le 31 mars 2018 et annonçant ma nomination, nos intentions sont clairement exprimées : « Benoît Raynaud et les administrateurs se sont fixés pour objectif de rassembler l’ensemble des forces vives du club, de la ville et de la région afin de favoriser l’entrée de nouveaux partenaires, de nouveaux administrateurs et surtout de réaliser une belle fin de saison sportive. »

Avec votre activité d’ostéopathe, ça n’a pas dû être simple de changer de casquette.

Effectivement ! Je dois en quelques heures réorganiser toute ma vie, recruter un jeune ostéopathe pour me remplacer au cabinet et aussi trouver des solutions pour mon fils, les jours où j’en ai la garde. Sans directeur général, le Biarritz Olympique est une machine infernale, je vais travailler quatre-vingt dix-heures par semaine, ça ne s’arrête jamais. Un jour je me suis amusé à compter : j’ai reçu 146 appels téléphoniques dans la journée.

« Michel Veunac m’a menacé au téléphone dès le premier jour »

Qu’est-ce qui vous a le plus frappé au moment de votre arrivée ?

Dix minutes après la parution du communiqué, mon premier coup de téléphone en tant que président provient d’Amaia Cazenave, à l’époque journaliste à France Bleu. Elle s’est débrouillée à obtenir mon numéro de portable et malgré ses qualités je décide de ne pas faire de déclaration. Le deuxième coup de téléphone, dans la soirée, va en revanche me scotcher. Michel Veunac, alors maire de Biarritz, m’appelle, glacial. Pas un mot de félicitation pour ma nomination. Rien ! Tout de go il m’annonce qu’il « ne peut pas imaginer qu’on s’en sorte » avant de rajouter, sympathique, que j’aurais « personnellement à assumer les suites en cas d’échec ». J’avoue que j’ai été douché. Et que dire de ma rencontre fortuite avec Guy Lafite, alors premier adjoint, à l’aéroport de Biarritz. Il va se montrer hautain, dédaigneux et ricaneur : «  Je connais les chiffres moi ! Vous n’y arriverez jamais et seuls les Gave sont capables de sauver le club ». Comment un club sportif en difficulté financière peut-il attirer des sponsors s’il n’est pas soutenu par la municipalité ?

Et je peux rajouter Max Brisson qui, désireux de se réconcilier avec Blanco, m’avait dit personnellement alors que je l’alertais sur ce qui se passait « Mais vous ne vous rendez pas compte de l’argent qu’ont les Gave! »

On m’a beaucoup rapporté que Brisson roulait pour les Gave mais je n’ai jamais eu affaire à lui personnellement. Les deux seuls soutiens que nous avons reçus de la part des politiques venaient de deux opposants. Dès ma nomination, Maïder Arostéguy m’a envoyé un mail très sympa pour me souhaiter « Bon courage ». Je suis d’ailleurs très frappé de voir que les Biarrots la rendent responsable de ce qui se passe au BO, alors qu’elle fait tout pour sauver le club et que, comme pour L’Hôtel du Palais, elle a hérité d’une situation catastrophique suite aux mauvais choix du duo Veunac-Lafite. Enfin François Amigorena, qui a fait preuve d’un soutien sans faille, s’est toujours montré très lucide sur les « motivations » de la famille Gave à Biarritz. Et je dois rajouter Didier Guillaume qui, spontanément, m’a proposé de m’aider.

« On n’a pas été aidé par le sportif »

Comment se passent les premiers jours à la tête du club ?

Plutôt bien. J’ai d’excellents rapports avec l’entraîneur Gonzalo Quesada, hyper-compétent et très carré dans sa façon de travailler. Nous savons que la trésorerie est très serrée, car les deux saisons précédentes, le club a déjà été menacé de relégation par la DNACG (le gendarme financier de la fédération de rugby). Mais nous sommes confiants car des contacts très intéressants sont en train de s’établir. La société KPMG, en la personne de François-Xavier Goldsmith, est venue avec treize personnes faire un audit du club qui nous confirme tout ce que nous ressentions depuis longtemps. Le BO, avec ses 84 salariés, a gardé un train de vie de club de Top 14 alors qu’il est en Pro D2 et reste très amateur dans son fonctionnement. Par exemple, il n’y a pas de comptabilité analytique qui permet d’analyser les dépenses poste par poste. Mais surtout le club souffre de problèmes de trésorerie depuis des années. En 2007, Serge Kampf aurait injecté plus de six millions d’euros dans le club pour le relancer et fait un abandon de créance de 1,4 million d’euros en 2012. Nous savons la situation financière tendue, mais sommes convaincus que nous allons rétablir la situation.

Que fait Aldigé pendant ce temps ?

(Grand éclat de rire) Il fait du Aldigé ! Alors que j’étais en vacances à la montagne avec Benjamin Gufflet, j’ai constaté qu’il ne cessait de l’appeler. Dès ma nomination, il fait le tour des élus en répétant : «  C’est nous qui avons l’argent » et comme Blanco approuve, tout le monde les suit. Un jour, alors que je travaille depuis peu dans mon nouveau bureau du BO, je vois Aldigé se pointer et me prendre à partie : « Si tu es là, c’est grâce à mon argent ». Calmement, je lui demande de sortir. « Je fais ce que je veux ! ». En fait, après cette fanfaronnade, je ne le reverrai que le 6 juin 2018, jour où je transmettrai le pouvoir à Louis-Vincent Gave. Lous-Vincent nommera Aldigé président, qui tient enfin le job de ses rêves.

Est-ce que des éléments extérieurs ont compliqué votre présidence ?

Le sportif comme dans nombre de clubs professionnels ! Gonzalo Quesada est un bon entraîneur et le BO fait une saison honorable. Pour le dernier match à domicile de la saison, match où Veunac se distinguera par son absence, le BO écrase Montauban 58 à 31, un souvenir magnifique, et se qualifie pour les phases finales. Malheureusement, nous sommes sixièmes et devons jouer à Grenoble un match de barrage, le 21 avril 2018, que nous perdons 33 à 26, alors que nous devions largement passer. Il est sûr que si les résultats avaient suivi, la position des Gave aurait été moins forte. C’est la loi du sport.

«  En sortant de la DNACG, je suis sûr d’avoir gagné »

Comment vous sentez-vous au moment de passer devant la DNACG, le gendarme financier du rugby, alors qu’il faut trouver un million d’euros pour que le club reparte ?

330 000 euros avaient été injectés en urgence par Bruno Ledoux et Benjamin Gufflet et il manquait effectivement un million d’euros pour la saison suivante. Avec les promesses d’engagement de gros sponsors que nous avions, ça ne devait a priori pas poser le moindre problème. Avec notre avocat Laurent Cotret du cabinet parisien August Debouzy et François-Xavier Goldsmith de KPMG , nous avons le sentiment que l’audience se passe bien et nous sortons persuadés que nous avons obtenu un délai. Alors que je suis en train de prendre l’avion à Orly, je reçois un appel du président Jean-Claude Franceschi qui m’annonce que le BO est recalé. En effet, la DNACG a tenu compte du retrait pour la saison 2019 du sponsor historique Cap Gemini qui versait chaque saison 1,5 millions d’euros et nous demande désormais d’injecter 3 millions d’euros dans le club. Je suis totalement abattu, car on avait un joli plan et de superbes investisseurs qui semblaient intéressés. Je les détaillerai tout à l’heure, même si je ne peux pas tout dire. Mais l’abattement sera de courte durée. Nous sommes tellement persuadés que nous allons y arriver que nous décidons de faire appel, malgré la réunion faussement improvisée du parking d’Aguilera où je vais bien me faire chahuter par les supporters.

L’algarade du parking : « Mon souci était de donner une bonne image du club »

Parlons justement de cette réunion « improvisée » sur le parking d’Aguilera le mercredi 23 mai 2018 qui est restée dans toutes les mémoires.

Depuis que la menace de relégation administrative qui plane sur le club est connue de tous, Aldigé et les Gave se répandent partout en disant qu’on n’a pas l’argent et qu’on doit dégager pour leur laisser la place. Le 10 mai dans Sud Ouest, Veunac a rajouté une pelletée de terre en nous demandant « de partir dans la dignité ». Pourtant, malgré cet environnement défavorable, nous sommes totalement confiants, car nous avons de nombreuses touches dont un grand investisseur très connu dans le monde du rugby.

Benoît Raynaud fait face à la centaine de supporters qui l’encerclent. Avec calme et courage, il explique la situation et sa confiance en l’avenir. Il ne sait pas que les dés sont pipés et que le but de cette réunion « spontanée » est d’effrayer les futurs partenaires intéressés par le BO.

Ce fameux 23 mai, nous sommes avec les juristes en pleine rédaction de l’appel à la DNACG que nous enverrons le 31 mai, lorsque j’apprends sur les réseaux sociaux que les supporters du BO, qui ne veulent pas voir mourir leur club, souhaitent venir manifester sur le parking du stade et demandent à rencontrer le président. Après hésitation, je décide de ne pas donner suite afin de ne pas abîmer l’image de marque du club et je prends ma voiture pour rentrer chez moi. Sur le trajet une assistante du BO m’appelle pour me dire que faute d’avoir parlé avec moi, les supporters annoncent qu’ils vont se rendre à une soirée organisée par un sponsor historique du club. Je fais donc aussitôt demi-tour et à peine descendu de ma voiture, je me retrouve encerclé par plus d’une centaine de supporters dont Nicolas Brusque et Jean-Baptiste Aldigé.

L’ancien président Brusque et le futur président Aldigé vocifèrent à qui mieux mieux pour inciter le trio Ledoux-Gufflet-Raynaud à passer la main. 

Mon souci est de rester calme, de parler vrai, de donner une bonne image du club et d’expliquer nos démarches sans trahir la confidentialité que nous demandent nos partenaires. Je pense sincèrement y être arrivé.

( Pour ceux qui veulent revoir l’algarade du parking : https://www.youtube.com/watch?v=puSEfU9Nyt8)

« Franck Mesnel devait venir avec Eden Park »

Vous ne le savez peut-être pas, mais j’ai pris une toute petite part dans ces événements puisque j’avais appris le souhait d’Eden Park dirigé par Frank Mesnel d’investir dans le Biarritz olympique et organisé avec mon ancien collègue Richard Escot son interview dans « L’Équipe » avant qu’il ne se désiste suite au tintamarre médiatique.

(Sourire navré) J’avais rencontré plusieurs dirigeants d’Eden Park avec qui nous progressions sur un futur partenariat, mais je n’ai jamais croisé Franck Mesnel en personne. Le 31 mars quand nous envoyons notre appel à la DNACG, nous sommes plutôt sereins car les sponsors, dont celui que vous citez, nous ont promis l’argent. Malheureusement l’incident du parking fait le tour de la planète rugby et tout le monde se dit qu’il y a quelque chose qui cloche au BO. Eden Park au vu des incidents, a craint de mettre à mal sa marque et effectivement a annulé au dernier moment l’entretien prévu avec L’Équipe. À partir de ce moment, tout l’édifice s’écroulait, et nous nous sommes décidés à passer la main.

Selon mes informations, Franck Mesnel via Eden Park, était prêt à signer un partenariat de 10 ans avec le BO pour 10 millions d’euros. D’autres investisseurs comme Lagardère Sports, une grande compagnie d’assurances et un célèbre équipementier sportif semblaient prêts à lui emboîter le pas. Pouvez-vous me confirmer ces informations ?

Je ne peux malheureusement pas le faire car je suis tenu à la confidentialité, mais je peux vous confirmer l’intérêt d’ Eden Park et de nombreuses autres sociétés pour le BO. N’oubliez pas non plus qu’en février 2018, Charles Gave avait parlé dans Sud Ouest des « actifs incroyables » du BO. En 2018, le club avait une image de marque excellente. Est-ce toujours le cas en 2024 après six ans de présidence Aldigé ?

Comment s’est passée la transmission de pouvoir avec le nouveau président Aldigé, le 6 juin 2018 ?

À la fin de l’assemblée générale des actionnaires, Serge Blanco, réconcilié depuis peu avec Jean-Baptiste Aldigé, est venu me voir, plutôt aimable : «  La manifestation sur le parking, c’est scandaleux. C’est contre nos valeurs. Si j’avais été présent, ça ne se serait pas passé ainsi. » Alors que je suis en train de vider mon bureau, Jean-Baptiste Aldigé, fidèle à sa réputation, se montre beaucoup plus cash avec moi : « Votre projet, c’était mort d’avance. On a fait un lobbying de malade. Blanco a appelé tous les gens qu’il connaît pour vous défoncer ».

Avec le recul, Benoît Raynaud qui a repris avec passion son métier d’ostéopathe et de formateur s’amuserait presque de tout cela, conscient qu’il ne pouvait pas réussir avec une mairie de Biarritz associée à Aldigé pour lui scier la branche consciencieusement depuis des semaines. La vraie question pour les amoureux du BO qui ont souffert pendant six ans de toutes les « atteintes à l’image » subies par le club suite aux nombreuses incartades de son turbulent président, est toute autre. Où en serait le BO aujourd’hui si des politiques à courte vue avaient laissé le trio Ledoux-Gufflet-Raynaud jouer sa partition en étant épaulé par une grande figure du rugby?

Jean-Yves VIOLLIER

2 commentaires

  1. Merci grandement à Benoît Raynaud qui nous permet de savoir que c’est encore un exploit de VEUNAC/LAFITTE d’avoir favorisé la venue de Gave/Aldigé pour s’emparer du BOPB. Il est facile de comprendre quel était l’intérêt des acquéreurs ,(opération financière immobilière sur Aguilera) mais je m’interroge sur les avantages potentiels qu’en attendait Veunac. Car ce monsieur n’a jamais rien fait sans espérer en tirer un avantage. Résultats pour les Biarrots, en plus des difficultés liées à l’hôtel du Palais , comment relever le BOPB cher à ses supporters ?

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  2. Moi, je m’interroge sur la fameuse fusion d’il y a neuf ans. Tout était merveilleux. On parlait même d’un stade à Bassussarry !!!! Au prix des terrains……………Mais n’aurait-on pas « baladé » les supporters des deux clubs avec ce projet ? Et pendant de temps, on démolie non seulement Aguiléra mais aussi ……..Jean Dauger. Et une fois cela commencé, on arrête le stade à Bassussarry . Quand même, au prix des terrains, comme dit ci-dessus, on ne va pas brader cet « or » de terrains constructibles pour quelques gars en petite culotte ! Je suis « tordu » ? Je sais. Et j’estime que c’est une qualité.

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