Les pêcheurs basques entre dauphins et surimi

Les artisans pêcheurs basques ont le sentiment que la suspension de la pêche pendant un mois n’a servi à rien. Ils se sentent persécutés et otages de mesures prises par des fonctionnaires qui ne connaissent pas leur métier.

La pêche à repris dans le golfe de Gascogne après un mois d’interdiction de sortie des bateaux de plus de 8 mètres qu’ils soient français ou espagnols. (Interdiction du 22 janvier au 21 février 2024)

La raison officielle de cette interdiction est, tenant compte des nombreux échouages de dauphins et cétacés, de permettre à la population de se régénérer. Ces échouages, particulièrement nombreux l’hiver, seraient majoritairement la conséquence des prises accidentelles Cette justification a rendu perplexes nos professionnels basques. Ramdam a rencontré deux d’entre eux :  Alice Bonnet (bateau CHA-NA-HE, et Pascal Gonzalez (bateau LAPURDI) avec lesquels nous avons partagés nos interrogations.

D’abord, s’il est indéniable que beaucoup d’échouages sont observés dans le golfe de Gascogne, le Pays basque semble être épargné.

La raison en serait le mode de pêche avec des filets maillants calés de petites dimensions : 2.5 mètres de haut et 2.3 km de long. Pour nos pêcheurs, seuls les dauphins suicidaires s’y feraient prendre. On peut donc se demander si cette interdiction tient compte du mode de pêche réellement mis en œuvre, et au-delà, qui a conseillé notre gouvernement et si les Comités de pêcheurs ont eu leur mot à dire ou su se faire entendre.

L’interface de l’homme et de la mer

Nos pêcheurs basques, en tout cas ceux que nous avons rencontrés, ont un lien affectif avec les dauphins, dont la présence les a souvent guidés vers de bancs de poissons. Ces derniers pris dans les nasses, les dauphins avaient le temps de se rassasier avant qu’ils ne soient laissés libres.

Les pêcheurs ne sont pas systématiquement opposés à une suspension temporaire de la pêche. Ils témoignent d’avoir eux-mêmes spontanément utilisé cette pratique, il y a une dizaine d’années en accord avec les autres pêcheurs, concernant l’anchois. La ressource s’est immédiatement reconstituée.

Mais cette suspension actuelle (tout le mois de février) ne rentre dans aucun cadre de protection des ressources. Elle ressemble plutot à une expérience : voir si l’arrêt de la pèche réduit l’échouage des cétacés.

L’interaction des grands chalutiers usines

Mais il est sûr que si personne ne pêche, les échouages diminueront… de combien ?

Se pose alors un autre problème. Comment peut-on tolérer que des grands chalutiers-usines puissent concurrencer la pêche artisano-locale ? En asséchant la réserve marine au large, les cétacés se rapprochent des côtes, accélérant le phénomène observé : « Chaque hiver, les eaux près des côtes s’enrichissent de plancton, ce qui attirerait sardines et anchois. Les dauphins suivent les bancs de poissons dont ils se nourrissent et se rapprochent donc des côtes du golfe de Gascogne ».

Le dernier exemple en date est le chalutier « Aannelies-Ilena ». L’un des plus gros chalutiers au monde est devenu le symbole des outrances de la pêche industrielle. 145 mètres de long et 24 mètres de large sillonnant principalement l’Atlantique, capable de capturer 400 tonnes de poissons en une journée et d’en stocker jusqu’à 7 000 tonnes. Battant pavillon polonais, propriété d’une boîte néerlandaise, la Compagnie des pêches de Saint-Malo y a investi 15 millions d’euros pour y installer une nouvelle unité de production de surimi.

Ça c’est du développement durable : transformer des poissons en surimi. Des surimis de poissons et des surimis de dauphins, le consommateur ne fera pas la différence, et il y aura moins d’échouages.

Où est la logique ?

En amont de cette interdiction, les pêcheurs ont-ils été consultés ? Qui a conseillé le gouvernement ? Est-ce qu’il y aurait, comme dans l’agriculture entre la FNSEA et les petits exploitants, deux conceptions de la pêche, dont l’une défendrait les intérêts d’une pêche extensive ? Indifférente de l’appauvrissement des réserves, la diminution est compensée par le surdimensionnement des chalutiers. Cette pratique ne peut s’exonérer de toute responsabilité dans les échouages des cétacés.

La solution ne peut venir qu’après une vision cohérente de la conservation des ressources, quelles que soient les espèces, et la mise en place d’une politique qui intègre TOUS les pêcheurs et TOUS les modes de pêche.

Michel GELLATO

  1. https://www.sudouest.fr/environnement/mer/quel-impact-du-mois-sans-peche-sur-pecheurs-et-dauphins-18641571.php
  2. https://fne.asso.fr/dossiers/peche-peut-on-encore-sauver-le-dauphin-commun
  3. https://www.observatoire-pelagis.cnrs.fr/wp-content/uploads/2023/11/rapport_echouage_2022.pdf
  4. Mer.gouv.fr/cetaces



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